Comment avez-vous lancé Bioracer à l’origine, Raymond ?
Raymond : « J’ai moi-même été coureur cycliste jusqu’à l’âge de 29 ans. Déjà à l’époque, j’étais passionné par toutes les innovations qui faisaient peu à peu leur entrée dans le cyclisme : nouvelles méthodes d’entraînement, évolution des vélos et de leurs composants, ainsi que des vêtements orientés performance. Après ma carrière de coureur, je suis devenu entraîneur au BLOSO. J’ai été l’un des premiers entraîneurs de niveau A, et le seul à être spécialisé dans le cyclisme. J’ai fondé la première “école de cyclisme” du pays et j'ai accompagné de futurs champions tels qu’Eric Vanderaerden, Guy Nulens, Johan Capiot et René Martens. »
« À cette époque, les vélos provenaient principalement d’Italie – pensez à Colnago, Gios Torino ou Guerciotti. Ils fabriquaient des cadres standards selon la morphologie typique des coureurs italiens, avec des angles très fermés. Un grand coureur recevait le même vélo, simplement avec des tubes quelques centimètres plus longs. Les cyclistes d’Europe du Nord avaient pourtant souvent une morphologie différente et nécessitaient des vélos à géométries adaptées. C’est pourquoi j’ai fondé Bioracer en 1986 : “La biomécanique au service des coureurs”. »
Quels souvenirs gardez-vous de cette première phase ?
Raymond : « Nous avons commencé par mesurer les coureurs afin de construire des cadres personnalisés, au millimètre près. Jochim Aerts était notre peintre – il allait plus tard fonder sa propre entreprise de vélos, qui deviendrait Ridley. Nous entretenons toujours d’excellentes relations. Mais il y avait plus encore. J’étais également frustré par les chaussures de course de l’époque. Nous avons créé un nouveau design qui plaçait les pieds de manière optimale pour améliorer le transfert de puissance. À un certain moment, la moitié du peloton courait avec nos chaussures – jusqu’au jour où mon distributeur a fait faillite. »
Cet épisode a marqué le début d’une nouvelle ère, n’est-ce pas ?
Raymond : « Oui, vers de nouvelles opportunités d’optimisation ! À la même période, je réfléchissais aussi à la manière dont les vêtements de cyclisme pouvaient être améliorés. Les maillots étaient alors principalement fabriqués en laine et/ou en coton. Après une course, ils pesaient trois kilos de plus qu’au départ. Je savais que dans le ski, on réfléchissait déjà à la conception de vêtements plus aérodynamiques et plus rapides. Je suis donc allé en Suisse pour collaborer avec un fabricant de vêtements de ski. Ils produisaient des articles en polyester et en tissus performants. »
« Le fournisseur de tissus a ensuite cessé ses activités mais m’a convaincu de lancer ma propre production. C’était en 1987 ou 1988, je crois. Je travaillais encore à la RTT, tout comme mon épouse, qui avait une formation de styliste. À l’époque, on pouvait pour la première fois prendre des congés de carrière. En plus, vous receviez la moitié de votre salaire si vous créiez votre propre entreprise en tant qu’indépendant. De cette manière, nous savions qu’au moins un revenu serait assuré. »
Quelles décisions se sont révélées décisives ?
Raymond : « Nous avons investi dans deux machines et avons commencé à produire des maillots de cyclisme dans notre garage. Au fil des années, nous avons introduit de nombreuses innovations : non seulement des maillots aérodynamiques et respirants, mais aussi des vestes de pluie en Isofilm – une première à l’époque. Comme je connaissais Vanderaerden et Nulens, leur directeur d’équipe chez Panasonic, Peter Post, est venu passer commande. Panasonic était alors la meilleure équipe du monde, et cela nous a véritablement lancés. Très vite, toutes les grandes équipes se sont tournées vers nous. Nous avons continué à innover. Nous avons créé des répliques de coureurs à l’aide de mannequins – le premier fut Tony Martin en 2009. Aujourd’hui, tout le monde s’y met, mais nous le faisons depuis 15 ans. C’est ce qui donne à Bioracer un avantage incroyable. »
« Le succès de Bioracer tient incontestablement aux innovations continues que nous apportons au monde du cyclisme. Nous avons été les premiers à tester des vêtements en soufflerie. Pensez aux combinaisons de contre-la-montre de notre équipe nationale aux Jeux Olympiques, celles qui ont permis à Remco de décrocher l’or et à Wout le bronze. Il a été prouvé qu’ils avaient les tenues les plus rapides. Mais ce n’est pas seulement une question d’aérodynamisme, il s’agit aussi de corriger la posture corporelle à des endroits précis pour respirer correctement. Tout aussi essentiel : le refroidissement ! De tels moteurs produisent énormément de chaleur, et comme pour un moteur automobile à combustion, il faut un système de refroidissement efficace. »
Quel rôle attribuez-vous au Protolab ?
Raymond : « Dans notre Protolab, nous développons des vêtements et testons leur capacité à lutter contre le froid et à réguler la chaleur. Nous analysons les cyclistes en mouvement pour garantir que le tissu, le design et la construction offrent une coupe anatomique avec un confort optimal. Nous suivons les données de la soufflerie ainsi que les courses réelles afin de trouver de nouvelles façons de défier le vent. Mais nous apprenons tout autant des ascensions, de la boue, des vents de travers, des pavés et de chaque mètre parcouru, de la ligne de départ jusqu’à l’arrivée. »
La concurrence est féroce…
Raymond : « Terriblement féroce ! Et le nombre de concurrents ne cesse d’augmenter. Que ce soit dans le custom made – des créations sur mesure pour les clubs – ou dans les collections, où nous proposons nos propres designs. Mais nous maintenons notre position de leader, avec même une légère croissance. Et cela alors que l’ensemble du secteur du cyclisme traverse une crise. Chaque jour est une lutte pour rester les meilleurs. Heureusement, nous pouvons compter sur une équipe de passionnés de cyclisme et des produits que nous créons. Nous produisons environ 15 000 nouveaux designs par an. Imaginez un peu ! »
La production a désormais définitivement quitté la Belgique, Raymond !
Raymond : « La production s’est poursuivie partiellement en Belgique jusqu’en 2024, mais le désavantage salarial est devenu trop important. Il n’était plus responsable de continuer à fabriquer nos produits ici. De plus, on trouve très peu de personnes formées dans le textile ou disposant d’une expérience dans ce secteur. Ces dernières années, nous avons surtout travaillé avec des couturières étrangères, même ici dans le Limbourg. Cela en dit long. Seuls les prototypes – les nouveaux modèles – sont encore assemblés ici. Nous avons transféré le reste de la production en Roumanie, en Macédoine, en Tunisie et en Colombie. »
Des pays où les salaires sont plus bas mais où la main-d’œuvre est aussi plus qualifiée…
Raymond : « Le marché sud-américain est relativement récent mais il est déjà important : d’une part parce que la qualité y est extrêmement élevée – comparable à celle de l’Italie – mais aussi parce qu’il existe un volume de ventes locales conséquent. Nous y réalisons un chiffre d’affaires de 3 millions. Nos collaborateurs y reçoivent également une formation interne complémentaire. Les prototypes développés dans nos sites internationaux doivent être exécutés à la perfection. Cela signifie tester, contrôler, corriger, puis tester encore, jusqu’à ce que tout soit ajusté, au sens propre comme au figuré. »
Pour terminer, un mot de conclusion, Raymond. Vous avez un tatouage particulier !
Raymond : « C’est ma petite-fille qui voulait que je me fasse tatouer pour mes 75 ans. (rires) J’ai d’abord résisté, mais elle a continué d'insister. Finalement, j’ai accepté, à condition qu’elle se fasse le même tatouage. Quand son anniversaire est arrivé, nous avons fait graver le mot serendipity sur notre peau. Dans la vie, il faut toujours regarder en avant, jamais en arrière. Moi, je pense toujours 5 ou 10 ans en avance, même si je ne foulerai sans doute plus ces sols dans 10 ans. C’est ça, ma serendipité : l’art de découvrir quelque chose de précieux qu’on ne cherchait pas. Si nous avons remporté plusieurs prix de l’innovation, ce n’est pas pour rien. Mais garder cet avantage est essentiel, vu la concurrence croissante. C’est un combat quotidien. »
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